La notion de « zone blanche du haut débit » du début des années 2000 a encore la vie dure. Elle reste l’élément de langage pour se plaindre de l’absence ou de la mauvaise qualité des connexions ADSL.
98,3 % des Français ont en effet accès à des services ADSL depuis leur domicile. Toutefois, selon l’ARCEP, ce taux de couverture n’est plus que de 77 % seulement pour les connexions bénéficiant d’un débit supérieur ou égal à 2 Mbps. Or, ce seuil de 2 Mbps est aujourd’hui considéré comme le seuil minimal d’un service haut débit, ainsi que l’a d’ailleurs reconnu le ministre en charge des communications électroniques, M. Éric Besson, devant votre commission lors de son audition le 20 juin dernier.
Et il poursuivait :
La couverture de 100 % du territoire en haut débit sur laquelle l’opérateur historique communique régulièrement, notamment auprès des élus locaux, s’entend donc d’une couverture multimodale incluant notamment le satellite. Or, l’offre satellitaire constitue un moyen pratique, mais peu satisfaisant, de « boucher les trous » du réseau fixe. Elle ne correspond pas, en effet, aux attentes de nos concitoyens du fait d’une qualité de service moindre et de prix plus élevés. De même, le plan « France numérique 2012 » prévoit un haut débit pour tous en 2012, mais à un seuil peu élevé – 512 kbps – et grâce à l’appoint de « technologies palliatives » telles que le satellite.
Neuf départements en queue de programme – Un bémol encore : ces données projetées sur une carte de France par les outils d’analyse du cabinet Tactis, mettent en exergue les neuf départements les moins bien lotis de ce déploiement.
« Ces cartes illustrent les zones blanches de l’ADSL, cela ne signifie pas que les habitants n’ont pas du tout de services haut débit. Par exemple dans la Nièvre, la Manche, en Charentes ou dans la Creuse, des réseaux d’initiative publique ont déployé des services Wimax », explique Stéphane Lelux, gérant du cabinet Tactis, spécialisé dans l’accompagnement des projets numériques des collectivités. En revanche, la région Auvergne qui, elle, a fait le choix avec ses quatre département, de financer la modernisation des centraux téléphonique du groupe Orange en souscrivant à l’offre NRA-ZO, s’illustre par une couverture ADSL significative. La même carte, cette fois à l’échelle des communes, révèle la disparité des niveaux de services au sein d’un même département entre centre urbain et village isolés.
Les différentes générations de technologies utilisées au cours de ces dix ans (Re ADSL, ADSL2 et maintenant VDSL2) améliorent les débits mais sur des distances de plus en plus réduites autour du central. Les abonnés les plus éloignés restent toujours les plus mal servis. « Il faut admettre que l’ADSL reste, malgré ses défauts, la référence aux yeux de la population. Même avec une réponse technique alternative disponible rapidement et plus performante comme le Wimax, nous nous sommes heurtés en 2007 au refus d’installer des émetteurs dans certaines communes. Elles préféraient attendre une connexion fixe de 512 kbits plutôt qu’une connexion sans fil de 2Mbps à l’époque. Aujourd’hui, elles auraient même déjà évoluées à 8 Mbps», indique Pierre Bareille, directeur du syndicat mixte Nièvre Numérique. Pour le Groupe Orange la couverture haut-débit ne se résume pas non plus au réseau cuivre : « Il n’existe plus de zones d’ombre du haut débit en France (1). Plusieurs technologies ont été mobilisées, là où il n’y a pas d’ADSL, il y a aussi la solution de l’internet par satellite », explique Bruno Janet, Directeur Relations avec les Collectivités Locales d’ Orange France. Une modernisation des multiplexeurs sans concertation – Malgré cette couverture théoriquement complète, de nombreux élus locaux de communes rurales ou péri-urbaines ne manquent pourtant pas de relayer la demande de leurs habitants auprès des directions régionales du groupe Orange. Durant ces dix années, ces élus et les parlementaires ont actionné de nombreux leviers à leur disposition pour faire avancer ce déploiement. Par exemple, la loi Pintat relative à la fracture numérique, votée en décembre 2009 apportait, elle aussi sa pierre à l’édifice. Son article 32, notamment, soulignait la nécessité de moderniser les gros multiplexeurs dans les communes rurales. Installés dans les années 70/80 pour apporter le téléphone dans les bourgs isolés, ces multiplexeurs, les « GMUX », empêchaient l’arrivée de l’internet. « Nous nous sommes engagés à dépenser 60 millions d’euros pour moderniser les multiplexeurs (les GMUX), nous tiendrons nos engagements, mais cela sera plus étalé dans le temps. Le programme sera achevé d’ici fin 2014 », reconnait Bruno Janet. Après un arrêt d’un an malgré une promesse initiale d’achèvement fin 2013, 61000 lignes sur les 88 000 lignes identifiées auront été rendues éligibles, soit 70% et 400 sites concernés. Les 30% restant, les plus petits, restent à réaliser en 2014, soit 380 sites. « Il reste encore 6 GMUX à neutraliser dans l’Eure, j’appelle régulièrement la directrice régional d’Orange pour suivre l’avancement », explique le sénateur Hervé Maurey. « Il n’y a aucune une volonté d’aménagement du territoire dans cette modernisation, regrette Michel Lebon, consultant du cabinet éponyme, spécialiste des réseaux numériques, en mission d’assistance à maîtrise d’ouvrage au conseil général du Lot ». Et de citer l’exemple de Thegra, village pilote de l’opération Connect’ écoles lancée par le Groupe Orange avec l’Association des maires ruraux de France choisi pour raccorder l’école à un service internet par satellite. «Pousser une école à se connecter par défaut à l’internet par satellite alors que la fibre optique passe sur son territoire pour relier les centraux modernisés des deux communes voisines, cela marque une véritable incohérence des actions. Le raccordement des écoles à la fibre optique est pourtant prioritaire dans le plan France Très Haut Débit », ajoute-t-il. Le Lot est un territoire en rattrapage qui se situe parmi les 9 départements les moins bien lotis. Il faisait partie des signataires de la charte des départements innovants, opération lancée en 2004 par France Télécom pour contrer les projets de réseaux d’initiative publique (RIP) des collectivités. La concurrence avec les RIP – Le calendrier de déploiement de cette modernisation a d’abord concerné les RIP engagés sur des services wimax ou, comme dans l’Ain, sur des réseaux FTTH. « Cette concurrence à un impact dans l’économie déjà fragile des RIP, mais c’est d’une logique implacable, puisque nous avons mis en place ces services pour éradiquer les zones blanches, reconnait Yan Pamboutzouglou, directeur de Dorsal, le syndicat mixte numérique des départements du Limousin. Cependant, nous souhaiterions être informés en amont, afin de pouvoir louer la fibre tirée pour raccorder ces centraux car maintenant, la priorité est de déployer le FTTH ». Les territoires les plus concernés par ces zones blanches ou grises du haut débit, sont aussi celles qui devront investir des fonds publics pour construire les futurs réseaux FTTH à des échéances plus ou moins lointaines selon les départements, ceci en finançant paradoxalement en parallèle la montée en débit du réseau cuivre pour satisfaire les besoins plus immédiats des quatre prochaines années. « Dans le cadre du plan France Très Haut Débit, nous équipons en fibre optique jusqu’à l’abonné 57% des foyers français, les autre 43% auront un mix de solutions. Dans ce contexte, la modernisation des GMUX est un sujet marginal. C’est un programme différent de celui que nous menons avec les collectivités au travers des opérations de montée en débit de l’ADSL avec l’offre NRA-MED qui a succédé à NRA-ZO», précise Bruno Janet. Voir hors texte (sur les NRA) Racheter le réseau cuivre plutôt que l’éteindre – « D’un côté les RIP doivent bâtir un modèle économique sur des réseaux FTTH coûteux et longs à déployer dans un contexte général de réduction des dépenses, de l’autre, ils doivent financer une montée en débit du réseau cuivre sans retour sur investissement. L’enjeu n’est pas technologique mais économique. Plutôt que de chercher à éteindre le réseau cuivre dans ces territoires pour favoriser un réseau en fibre optique, pourquoi ne pas réunir les deux modèles ?, suggère Stéphane Lelux. Pour y parvenir, il faudrait permettre aux réseaux d’initiative publique de racheter les réseaux cuivre de leurs territoires ». Une suggestion qu’il compte présenter à la « La mission Cuivre vers fibre optique » dite « mission Champsaur », qui rendra ses travaux sur la transition du cuivre vers les réseaux fibre optique fin 2014.
Stéphane LELUX, Préside l’association des conseils pour l’Aménagement Numérique du Territoire le GCANT
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