Après 15 ans de diète France Télécom devenu Orange relance sa conquête européenne
Mais quels enseignements tirer des échecs passés qui ont coûté aux actionnaires, aux salariés, aux clients et aux français ?
Au moment où l’Etat français actionnaire (26%) d’Orange donne son accord (article JDD 27 octobre 2013)pour relancer le projet d’un grand partenariat capitalistique avec un opérateur européen, en citant l’exemple d’un EADS des télécoms et des partenariats avec l’Allemagne. Il est important de se pencher sur les causes et conséquences de l’échec de 1999.
auteur : Stéphane LELUX, Président de TACTIS
Quels enseignements en tirer pour ne pas refaire les mêmes erreurs ?
Pour nous éclairer, je vous invite à la lecture d’un extrait de l’excellent article de Michel VOLLE avec qui j’ai eu le plaisir de travailler au début de ma carrière ‘intitulé FRANCE TELECOM : SORTIR du GOUFFRE » publié en septembre 2002
Croissance extensive, l’échec du premier rapprochement France Télécom
Les Présidents de France Télécom / DGT (Direction Générale des Télécommunications) Jacques Dondoux et Marcel Roulet étaient germanophiles, mais les dirigeants de Deutsche Telekom n’ont jamais été francophiles. Le couple franco-allemand ne tenait que grâce aux concessions et flatteries françaises. Cela ne correspond pas au style de Michel Bon. Ron Sommer, président de Deutsche Telekom, est d’ailleurs lui aussi un homme brillant et séduisant. Entre deux séducteurs, l’entente est impossible. La rupture avec Deutsche Telekom aura lieu en mai 1999, Ron Sommer ayant fait cavalier seul pour tenter de prendre le contrôle de Telecom Italia. Dès lors France Telecom devra croître isolément.
Les circonstances semblent favorables. Les banques font le siège de l’entreprise pour lui proposer des prêts et signaler les acquisitions possibles, dont elles attendent de succulentes commissions. Les actionnaires, parmi lesquels l’État, souhaitent voir croître le cours de l’action (et, à l’époque, les cours du secteur des télécoms croissent rapidement). Dans un tel contexte celui qui n’achète pas passerait pour quelqu’un de timoré, voire pour un imbécile. Un véritable entrepreneur comme Martin Bouygues, prudent évaluateur des risques, assume cette image sans état d’âme. Elle ne peut convenir à Michel Bon.
Celui-ci va donc se lancer dans une politique d’achats. Cependant, contrairement à d’autres exploitants, il ne peut pas payer en actions car cela diluerait la part de l’État dans le capital. Il va donc devoir emprunter pour payer en liquide. La structure du bilan de France Telecom sera dès lors vulnérable.
Lors de l’introduction de l’entreprise en Bourse en octobre 1997 le cours de l’action était de 27,50 euros. Il monta pour atteindre un sommet de 220 euros en mars 2000. Les actionnaires avaient vu avec plaisir s’accroître une plus-value latente, gage de bien-être pour leur retraite. Ils répondaient à celui qui critiquait la stratégie : « les marchés ne sont pas de ton avis, tu ne peux pas prétendre avoir raison contre tout le monde ».
Mais la débâcle qui a suivi emporta veau, vache, cochon et couvée : le cours oscille aujourd’hui autour de 10 euros. La dette de 70 milliards d’euros est quatre fois plus profonde que le trou qu’a creusé le Crédit Lyonnais sous Yves Haberer.
Il y a eu une erreur stratégique. Certains parlent de scandale : il faudra sans doute chercher si ceux qui ont tiré profit de l’erreur n’en ont pas été aussi les instigateurs. Mais l’enjeu essentiel reste la qualité du réseau télécom français. Nous allons parcourir l’histoire, décrire les stratégies, enfin chercher les voies pour sortir du gouffre
La crise des télécommunications
La spéculation sur le cours des actions dans les télécoms, et plus généralement dans les NTIC, avait anticipé la poursuite d’une croissance exponentielle du chiffre d’affaires. Le retournement était inévitable, seule sa date était incertaine. Lorsqu’il se produisit, il devint évident pour tous que France Telecom avait pris un risque excessif.
La chute des cours entraînait la dévalorisation de ses actifs immobiliers, d’où des pertes provoquant une baisse des fonds propres. Le ratio d’endettement devenait intenable. Soudain France Telecom changeait de catégorie : les mêmes banques qui naguère l’avaient supplié d’accepter leurs prêts le jugeaient maintenant trop endetté. L’entreprise se trouvait techniquement en faillite : même si elle dégageait beaucoup de profit, celui-ci ne suffirait pas pour rembourser les prêts arrivés à échéance et que les banques refusaient de renouveler.
Il est vrai que les autres exploitants télécoms rencontrent des problèmes analogues, puisque la crise est sectorielle ; seulement France Telecom, ayant acheté beaucoup, de surcroît avec de l’argent et non avec des actions, se trouve le plus endetté et le plus exposé.
L’État possédait à l’époque 55 % du capital. Ses représentants ont applaudi toutes les décisions de Michel Bon. Il ne peut pas compromettre son crédit en laissant France Telecom faire faillite. Il va donc apporter les fonds nécessaires pour rembourser les emprunts.
Quelle serait la suite mécanique des événements ? Les contribuables seraient sollicités pour combler le « trou ». Les actionnaires perdraient le peu qui leur reste car leurs titres seraient « dilués » lors des augmentations de capital. La future direction de l’entreprise serait dans une situation infernale : elle devrait mendier, année après année, les aides de Bercy sous l’œil sourcilleux de Bruxelles ; elle serait harcelée par des contentieux (avec les actionnaires et créanciers de Mobilcom, avec ses propres créanciers et actionnaires, avec les banques, avec les fournisseurs etc.) ; elle devrait rechercher des économies d’exploitation, ce qui l’exposerait à des conflits sociaux et dégraderait la qualité du réseau ; elle aurait perdu toute liberté de manœuvre pour investir.
Ses dirigeants et actionnaires devront être des plus avisés car il n’y aura plus la protection de l’Etat pour éviter une faillite, comme cela avait été possible avec Francis Mer ! L’Etat français pour éviter la faillite de France Télécom en 2002, face à une dette de 63 milliards d’euros, contractée lors de l’acquisition d’Orange deux ans plus tôt, accorde une ligne de crédit de 9 milliards d’euros. Le groupe n’aura finalement pas besoin de cet argent. Les interventions publiques du ministre de l’économie de l’époque, Francis Mer, avait notamment déclaré « qu’en cas de problèmes de financement, l’Etat prendrait les décisions nécessaires pour qu’ils soient surmontés ». S’en est alors suivi la plus grande période de diète qu’ait connu l’opérateur français de son histoire.
Peu importe que des dirigeants vivent dans l’inconfort, mais la France peut-elle tolérer que la qualité de son réseau télécom se dégrade ?
Fin 2013, le gouvernement français actionnaire à 26% de France Télécom devenu Orange, donne son aval à des opérations de « fusions/acquisitions » pour permettre la création d’un champion européen des télécoms.
L’histoire va – t – elle se répéter en 2014 ?
Le contexte n’est plus le même et l’Etat n’est plus dans la même position (26% du capital , acceptant de se voir dilué) mais la prudence et les leçons du passé doivent nous éclairer. L’enjeu pour la France au moment où s’engage la modernisation du réseau avec le très haut débit du réseau par l’arrivée de la Fibre optique est d’éviter d’hypothéquer les programmes d’aménagement et de développement économique liés au numérique.
Dans un marché en profonde mutation, le risque de voir Orange se perdre dans un campagne européenne est non nul.
Que les échecs passés soient collectivement utiles et qu’ils évitent aux territoires français une remise en question de la modernisation des infrastructures numériques dont il a vitalement besoin.